Bombino Niger
+ 1ère partie Sibé Fadjo
Depuis des siècles, la ville d'Agadez est le point de rencontre des caravanes de chameaux que conduisent les Touaregs, entre l’Afrique de l’Ouest, l’Afrique du Nord et la Méditerranée. Né en 1980 dans un camp de nomades tout proche, le jeune guitariste et songwriter Omara « Bombino » Moctar est élevé dans un contexte de guerre pour l’indépendance des Touaregs. Contraint à l’exil avec sa famille, il se découvre alors une passion pour la guitare et se perfectionne ensuite avec le célèbre guitariste touareg HajaBebe. Les jams électrisants de Bombino capturent cet esprit de résistance et de rébellion, tandis que ses riffs, rappelant ses camarades africains Tinariwen et Ali Farka Touré, font en même temps écho à des icônes du rock et du blues tels que Jimi Hendrix, John Lee Hooker et Jimmy Page.
Nominé au Grammy Awards 2019, Deran, que l’on peut traduire par “meilleurs vœux” – est le disque le plus homogène, percutant et diversifié de Bombino à ce jour. Il délivre un
message d’espoir et de vœux au monde entier, à une époque de grande souffrance et de tumulte.
Petite restauration sur place
en savoir + sur Bombino
Omara « Bombino » Moctar, né GoumourAlmoctar, est né le 1 janvier 1980, dans un camp nomade situé environ à une centaine de kilomètres au nord-est d’Agadez. Il fait partie de la tribu Ifoghas, qui appartient à la fédération Kel Air Tuareg. Son père est garagiste, et sa mère s’occupe du foyer, suivant la tradition des Touaregs. Bombino est élevé dans la foi musulmane, dont les valeurs principales sont l’honneur, la dignité et la générosité.
Bombino passe son enfance entre le camp et Agadez, la ville la plus grande du nord de Niger (90 000 habitants) qui a tenu une place centrale dans les anciennes routes commerciales du Sahara, liant le Maghreb et la Méditerranée avec l’ouest de l’Afrique. Ayant seize frères et sœurs (les demi-frères et demi-sœurs de sa mère et son père inclus), Bombino est inscrit dans une école à Agadez, mais l’âme déjà rebelle, il refuse d’assister aux cours. Sa grand-mère l’accueille pour que son père ne puisse pas le forcer d’y aller, et comme la plupart des enfants Touaregs, il est élevé par sa grand-mère.
Plus tard, Bombino cède à son père, et commence son éducation dans une école franco-arabique, qui enseigne ces deux langues. Âgé de neuf ans et après trois ans passés dans cet établissement, il quitte l’école et rentre chez sa grand-mère pour commencer sa vie d’enfant Touareg indépendant. La culture Touareg est matriarcale, et les vieilles femmes sont considérées comme les chefs de la communauté, représentant l’essence de la vie, le générosité et la sagesse. La grand-mère de Bombino lui transmet le code moral des Touaregs pour qu’il puisse devenir un membre respecté de la société. Les jeunes garçons Touaregs sont appelés « arawan n tchimgharen », ou « les enfants de grand-mère », une désignation considérée comme un titre d’honneur.
Une sècheresse frappe Niger et Mali en 1984, tuant la plupart de leur bétail, et forçant un grand nombre d’habitants à quitter la campagne et déménager vers les grandes villes, voire migrer en Algérie et Libye. Se sentant oubliées et sous-représentées par les gouvernements locaux, les communautés Touaregs du pays organisent une révolte pour défendre leurs droits. Avant même le début du combat, les rebelles commencent déjà à nourrir les idées de rébellion dans leur communauté à travers la chanson et la guitare, un instrument récemment adopté par leur culture. Les musiciens tels que Intayaden, Abreyboun de Tinariwen, Keddo, Abdallah de Niger et d’autres, chantent des chansons populaires qui proclament les droits et l’héritage des Touaregs. Ce style est appelé « ishoumar », dérivé du mot « chômeurs », parce que les peuples Touaregs ont perdus leur bétail dans la sècheresse et ne peuvent plus subvenir à leurs besoins. Plus tard, le nom « ishoumar » devient synonyme de « rebelle ».
En 1990, la première révolte des Touaregs commence au Mali et au Niger, lorsque les commandos Touaregs montent une attaque contre l’armée et le gouvernement. Le gouvernement monte une contre-attaque, désignant les Touaregs comme des ennemis de l’état et les condamnant à l’exil. Bombino fuit alors avec son père et sa grand-mère, et s’installent en Algérie, où ils avaient de la famille. Un jour, quelques membres de sa famille arrivent du front de la rébellion, apportant avec eux deux guitares qu’ils confient à Bombino durant quelques mois. Ce dernier en profite pour apprendre à en jouer, piquant quelques notes pour imiter les chansons ishoumar qu’il connaissait.
En 1992 et 1993, le régime militaire du Niger est remplacé par un gouvernement démocratique. Plusieurs partis politiques sont formés, selon les divisions ethniques. Un parti Touareg est formé. La musique joue, encore une fois, un rôle important dans la communauté, puisqu’elle permet cette fois d’expliquer l’importance du système démocratique au Niger. Malgré le conflit militaire qui n’est pas totalement terminé, Bombino et sa famille reviennent à Agadez.
Lors d’un voyage à Niamey pour un traitement médical, Bombino rencontre son oncle RissaIxa, célèbre peintre Touareg, qui lui donne une guitare. Après son retour à Agadez, Bombino s’inscrit au parti politique Touareg,dans lequel il fait la connaissance du meilleur guitariste du parti, HajaBebe. Il commence des leçons de guitare, développe son talent,jusqu’à ce que HajaBebe l’invite à jouer dans son groupe. C’est pendant cette période que Bombino reçoit son surnom : comme il était le plus jeune et le plus petit du groupe, les autres musiciens l’ont appelé Bombino, dérivé du mot italien pour « petit enfant ».
Le 24 avril 1995, le gouvernement du Niger signe un accord avec les rebelles, et les Touaregs reviennent au Niger. Pendant ce temps, Bombino obtient un rôle de figurant dans un film français, Imûhar, une légende, qui est filmé dans le désert qui l’entoure. Après avoir tourné le film, Bombino s’établit comme musicien professionnel, jouant dans les rassemblements politiques, mariages et autres cérémonies.
Il s’est souvent battu avec son père, qui ne voulait pas que son fils devienne musicien. Pour contourner ce problème, Bombino décide de voyager en Algérie et en Libye en 1996. Là, il fait la connaissance de quelques musiciens avec qui il devient ami. Ils passent leur temps ensemble,regardent des vidéos de Jimi Hendrix, Mark Knopfler de Dire Straits et autres pour améliorer leur technique. En peu de temps, Bombino devient un guitariste accompli, souvent plébiscité pour jouer l’accompagnement. Son travail de berger dans le désert près de Tripoli en Libye lui permet de passer des heures seul à garder ses troupeaux et améliorer son jeu de guitare.
Bombino rentre alors au Niger, où il joue avec plusieurs groupes. Pendant que sa renommée grandit, une équipe de tournage documentaire arrive d’Espagne pour l’aider à enregistrer son premier album. Ce dernier connaît un grand succès et passe à la radio d’Agadez. Tout cela conforte Bombino dans son choix de carrière en tant que musicien, et il commence à jouer régulièrement pour les touristes et les gens du pays.
En 2006, Bombino se rend en Californie avec le groupe Tidawt pour une tournée organisée par une association à but non lucratif. Pendant le voyage, il enregistre une version blues du désert de la chanson « Hey Negrita » des Rolling Stones. La chanson sort en 2008 sur Stone’s World : The Rolling Stones Project Volume 2, un album réalisé par Tim Riese, le saxophoniste des Rolling Stones. La même année, Bombino sert comme guide pour Angelina Jolie pendant sa visite dans le désert du Niger. Pendant le voyage, Bombino joue de la musique touarègue et narre des histoires sur la vie nomade au Sahara.
La deuxième révolte Touareg commence en 2007, et les contremesures du gouvernement sont fortes et étendues. Beaucoup de civils sont tués, et des fermes et troupeaux sont détruits dans le but d’écraser la rébellion. Mais les tactiques féroces du gouvernement permettent malgré elle de réunifier la communauté Touareg, et plusieurs proches de Bombino rejoignent la rébellion. L’armée du gouvernement ayant tué deux musiciens de son groupe, Bombino part en exil au Burkina Faso avec plusieurs autres Touaregs.
En 2009, il fait la connaissance du cinéaste Ron Wyman, qui a entendu une de ses cassettes en voyageant près d’Agadez. Wyman ayant été enchanté par sa musique, etpasse un an à la recherche de Bombino. Finalement, il le retrouve à Ouagadougou, où ils’était exilé. Là-bas, Wyman décide de présenter Bombino dans un documentaire qu’il tournait au sujet des Touaregs. La même année, il amène Bombino à Cambridge, Massachusetts pour commencer l’enregistrement de l’album, Agadez, dans son studio personnel.
Enfin, le combat s’arrête et les Touaregs obtiennent la permission de rentrer au Niger. En janvier 2010, Wyman vient à Agadez pour finir l’album et le film. Le sultan d’Agadez leur permet d’organiser un concert pour la paix à côté de la Grande Mosquée. C’est la première fois qu’un tel concert est autorisé. Plus d’un million de spectateurs font le déplacement pour fêter la fin du conflit et danser sur les rythmes irrésistibles de Bombino et son groupe.
Son premier album de renommée internationale, Agadez, produit par Ron Wymanest sorti en avril 2011 chez Cumbancha Records. Cet album connaît un grand succès, qui amène Bombino à faire une tournée internationale entre 2011 et 2012, pour promouvoir sa musique et sa cause.
Le 2 avril 2013 marque le début de la collaboration entre Bombino et Nonesuch Records, avec la sortie de son deuxième album Nomad, enregistré avec l’aide de Dan Auerbach (du groupe The Black Keys) dans son studio à Nashville. Nomad se hisse jusqu’à la première place du Billboard dédié aux musiques du monde, et d’iTunes World. Les critiques de médias de renom tels que BBC World Service et Rolling Stone s’extasient sur l’album. Bombino est comparé à Jimi Hendrix, Carlos Santana, Neil Young, et Jerry Garcia pour ses concerts et surtout la virtuosité de son jeu de guitare.
Malgré sa trentaine d’années, la vie et les voyages de Bombino l’ont exposé aux problèmes de son peuple. Il œuvre à aider la communauté Touareg à obtenir des droits égaux aux autres citoyens du pays, garder la paix, maintenir leur héritage et promouvoir l’éducation. Il encourage l’enseignement du langue Touareg, Tamasheq, la langue Haoussa, le français, et l’arabique – tous les langues qu’il parle couramment. « Nous nous sommes battu pour nos droits, remarque Bombino, mais nous avons vu que les fusils ne sont pas la solution. Nous avons besoin de changer notre système. Nos enfants doivent aller à l’école pour comprendre leur identité Touareg. »
Quatre millions d’années vécues dans un environnement hostile ont appris aux Touaregs que la volonté de survivre avec dignité est plus forte qu’aucune menace externe. Bombino introduit ce sentiment dans sa musique, écrit son hymne, et lui donne sa propre vie. Il est devenu l’emblème de la prochaine génération Touareg, une nouvelle voix pour le Sahara et le Sahel, mélangeant les rythmes traditionnels des Berbères avec l’énergie du rock and roll et les chansons de paix.